Préjugés ? Propagande ? Lobbies ? D’où vient la mauvaise image du vapotage ?

Écoutez linterview de France Info avec :

- William Lowenstein, Médecin Addictologue, Interniste et Pneumologue de formation, Président de l'association SOS Addictions

- Olivier Véran, Député LREM de l'Isère, Médecin Neurologue et Rapporteur Général de la Commission des Affaires Sociales

- Etienne Caniard, ancien président de la Fédération nationale de la Mutualité Française,  ancien membre de la Haute Autorité de santé

FI : Diriez-vous que la cigarette électronique est aujourd'hui un des meilleurs produits de sortie du tabac ?

William Lowenstein : Oui, actuellement c'est LE meilleur produit, disons-le directement, et le rapport publié par Santé Publique France confirme le succès et l'efficacité du vapotage.

FI : Même lorsque le vapoteur continue à fumer du tabac par ailleurs ?

William Lowenstein : C'est une étape, mais c'est déjà de la réduction des risques. Je pense que nous l'évoquerons. On souhaite tous être en parfaite santé, dans un monde parfait, et si possible très heureux, mais la réalité nous oblige à développer, même pour les drogues dites licites comme l'alcool et le tabac, des stratégies de réduction des risques. Donc, clairement, c'est une réduction des risques. Continuer de fumer est à déconseiller, même quand on vapote. Mais vapotons, et surtout, améliorons l'image du vapotage.

FI : Qui a une mauvaise image ?

William Lowenstein : Oui ! Dans la même étude, il est bien dit que 50%, soit la moitié de la population, pense que le vapotage est aussi nocif, voire plus nocif que la cigarette classique !

FI : S'agit-il de préjugés ? De propagande ?

William Lowenstein : Il y a de la propagande, la frilosité de l'Etat, les lobbys, et aussi parfois, les médias. Hier, je regardais une petite vidéo de France info sur le cannabis, dont la conclusion était : réjouissons-nous, les collégiens et les lycéens fument un peu moins de cannabis, mais attention : la consommation du vapotage, de la ecig, a augmenté. Ca, il faut arrêter avec ça ! C'est deux motifs de réjouissement : c'est à dire la diminution chez les lycéens collégiens du cannabis et l'apparition du vapotage évidemment.

FI : Etienne Caniard, vous êtes d'accord ?

Etienne Caniard : Totalement. Il est extrêmement surprenant que la logique de réduction des risques, intégrée sans trop de difficulté pour les drogues illicites, ne soit pas intégrée pour les drogues licites. C'est à dire qu'on a l'impression qu'effectivement, tabac et alcool échappent finalement aux règles simples de santé publique, qui consistent à utiliser des outils qui marchent, et le vapotage marche aujourd'hui. Alors, on emploie des arguments plus ou moins valides... Evidemment, il peut y avoir des risques de maintien d'addiction, etc, mais le danger est évidemment beaucoup moins grand. Les arguments avancés, notamment par le Haut Conseil à la Santé Publique, il y a maintenant 2 ou 3 ans, disant que c'est une porte d'entrée au tabac, sont un petit peu surprenants, parce que ça laisse supposer que personne ne fumait avant le vapotage. On rentrait bien dans le tabagisme de la même façon, donc personne aujourd'hui ne peut dire si c'est une porte d'entrée supplémentaire, mais tout le monde peut constater que c'est moins dangereux et que ça réduit à la fois la mortalité et la morbidité. Même l'académie de médecine l'affirme de façon très claire.

FI : Olivier Véran, faut-il encourager le vapotage à la place du tabac et améliorer son image, comme le disait William Lowenstein ?

Olivier Véran : Ce qui est sûr, c'est qu'on a une positon ambivalente vis-à-vis du vapotage, et cela depuis des années, parce qu'il y a la question du recul. Il y a des études qui sont en cours et qui sont, effectivement, les unes après les autres, de plus en plus rassurantes. Il y a une étude qui montrait, qu'au pire, c'était mille fois moins dangereux de vapoter que de fumer. Mais c'est vrai, on voit que les rapports des autorités sanitaires de différents pays ne concordent pas encore tous vers la non-toxicité au long cours du vapotage. Cela étant dit, le vapotage est un outil qui permet aujourd'hui à des centaines de milliers de Français, des millions de personnes dans le monde, d’arrêter de fumer. Certains réduisent leur consommation, d'autres arrêtent totalement de fumer grâce au vapotage. Il n'y a pas de phénomène de combustion, qui est un phénomène qui provoque des lésions bronchiques et des lésions cancéreuses et, finalement, le débat va plutôt porter sur l'addiction à la nicotine en tant que telle. Mais l'addiction à la nicotine, quand on parle de vapoteur, concerne déjà des gens qui sont addicts à la nicotine, puisqu'ils ont déjà consommé du tabac. Donc, il faut probablement que nous soyons plus déterminés à reconnaître ses avantages. Je notais, par exemple, que la ville de San Francisco, qui a annoncé hier qu'elle avait interdit le vapotage parce qu'il avait augmenté chez les jeunes, continue paradoxalement d'autoriser la vente de cigarettes. On se demande quelle est la motivation de la décision... J'ai regardé les statistiques sur San Francisco. S'il est vrai que le vapotage a très fortement augmenté chez les jeunes, il faut donc faire attention par de la prévention à ce que cela ne soit pas une porte d'entrée vers la nicotine. Néanmoins, dans la même période que le vapotage se développait, le nombre de jeunes fumeurs à été réduit de 35%. Je vais vous dire un truc : j'aimerais bien qu'on réduise de 35% le nombre de jeunes fumeurs en 3 ans dans un pays comme le nôtre, même si nous avons une politique qui est extrêmement efficace par ailleurs, avec l'augmentation du prix du paquet et d'autres dispositions qui ont pu être prises. Donc, c'est vrai que ce positionnement vis à vis du vapotage est un défi pour nous. Mais je le vois aussi en tant que médecin : un grand nombre de mes patients ont arrêté de fumer grâce à la cigarette électronique. Certains continuent dans la durée à vapoter, d'autres arrêtent au bout de quelques mois.

FI : 700 000 Français auraient donc arrêté de fumer grâce à la cigarette électronique, c'est ce que dit aujourd'hui l'organisme Santé Publique France. Alors, faut-il encourager davantage le vapotage en France ? "Oui" répond William Lowenstein. Pourquoi l'Etat n'en fait-il alors pas davantage, puisqu'on nous dit que la santé publique est une priorité absolue ? Comment expliquez-vous ça ?

William Lowenstein : Je pense qu'on est un pays qui a été fortement marqué par le scandale du sang contaminé et l'histoire du principe de précaution.

FI : Vous pensez que ça remonte à ça ?

William Lowenstein : Je pense qu'il y a des racines comme ça, de "responsable mais pas coupable", qui traversent l'histoire et qui ont formaté un certain nombre de nos décideurs. Après, ce principe de précaution est réellement à géométrie variable, parce que, par exemple, je ne pense pas qu'on ait 50 ans de recul pour pouvoir dire qu'il n'y a aucun risque sur 12h d'utilisation quotidienne de smartphone ou l'installation des futurs réseaux 5G. Ce qu'on sait vraiment pour le vapotage, pour changer la perception, c'est qu'il n y a pas de monoxyde de carbone, il n'y a pas de goudron, il n'y a pas ce qui tue. Ce n'est pas le tabac, ni la nicotine, si j'ose dire, qui tuent, mais bien le fait de cette combustion. On a donc un faisceau d'arguments qui est quand même très rassurant pour la suite et comme le disait Olivier Véran, certaines études parlent de 95% de réduction des risques au Royaume-Uni, grâce à leur « mois sans tabac » qui existe depuis longtemps. Le vapotage est bien identifié comme principale source de sortie du tabac.

FI : Est-ce que les buralistes, les marchands de tabac, ont une influence sur ce marché ? Est-ce qu'il y a un lobbying ? Une propagande ?

Olivier Véran : Il y a des pays entiers qui ont interdit le vapotage. Je pense au Brésil par exemple, déjà pour vous dire qu'il y a un lobbying mondial. Vous savez, l'industrie du tabac est mondialisée, donc évidemment qu'il y a un lobbying pour noircir et ternir l'image du vapotage, évidemment. Vous imaginez bien. C'est un marché qui est colossal, c'est un lobby qui est extrêmement puissant et très actif. Donc oui, il y a un lobby. Quelle forme prend-il ? Qui va-t-il toucher ? Je ne saurais vous répondre, mais c'est évident que les cigarettiers ne voient pas l'arrivée du vapotage comme une bonne nouvelle. Ce qui veut d'ailleurs dire que le vapotage est un outil de sevrage, puisque si ce n'était pas un outil de sevrage, les cigarettiers ne s'en inquiéterait pas comme ils le font. Aujourd'hui on en est au stade où il faut être capable, comme le disait William Lowenstein, avec une histoire de crises sanitaires et le principe de précaution ancré dans notre constitution, de démontrer la preuve que toute toxicité et dangerosité à été enlevé. On progresse énormément de ce point de vue là et on pourra se poser toutes ces questions dans un second temps. Mais aujourd'hui déjà, effectivement, je suis assez surpris sur l'image du vapotage, alors même que l'utilisation à but de sevrage est croissante et qu'on n’a pas de porte d'entrée vers le tabagisme aujourd'hui.

FI : Est-ce que ça peut-être le fruit d'une propagande et d'un lobbying ?

William Lowenstein : Oui, bien-sûr, et puis on est quand même dans un pays formidable, où le vin c'est bon pour la santé et le vapotage c'est dangereux. Voilà ce qu'il faut changer. Il faut changer dans la cohérence et peut-être ne pas toujours demander à l'Etat ce qu'il ne peut pas donner pour des raisons essentiellement économiques. A nous de partager cette parcelle de précaution, cette parole de précaution et de réflexion.

Etienne Caniard : Je pense que ce qui est très important, c'est la question des représentations de ces produits et la traduction de cette représentation dans les politiques publiques. On voit bien, par exemple, que la représentation positive de l'alcool a rendu la lutte contre l'alcool beaucoup plus difficile contre le tabac, qui est devenu négatif. Par contre, on assimile le vapotage au tabac et, du coup, il y a cette image négative du vapotage, alors que c'est incontestablement un outil de réduction des risques qu'il faut promouvoir avec des précautions.

FI : Oui, parce qu'on ne sait pas tout. Vous allez me dire que ça rentre aussi dans la propagande le "on ne sait pas tout" ?

Etienne Caniard : Bien-sûr, mais on sait déjà beaucoup. Ca fait dix ans que l'histoire a été étudiée. Donc, sur un temps long au sens humain du terme, c'est encore insuffisant. Mais là aussi, il y a une cohérence et le premier message c'est de ne pas se tromper de combat. C'est vraiment la combustion qui fait la dangerosité, ce n'est ni le tabac, ni la nicotine qui hélas fait la dépendance, mais dont tout le monde a fort heureusement validé le remboursement des patchs. Donc, le message, me semble-t-il, le plus fondamental et le plus basique à transmettre à ceux qui nous écoutent (ou lisent) : vapoteur ou si vous devez vous sevrer du tabac, ce n'est pas le tabac ou la nicotine qui sont dangereux, mais bien la combustion.

FI : Vous pensez qu'on arrivera à terme à un remboursement ? Peut-être à déterminer que ce produit est une aide et point final ?

Etienne Caniard : Pourquoi pas. Dans le rapport du conseil Economique, Social et Environnemental du début de l'année, nous avions beaucoup insisté sur le remboursement des patchs nicotiniques en disant : arrêtons de cibler des populations, mais remboursons à tous ceux qui ont envie de s'arrêter, puisque le moment où nous avons besoin d'outil pour arrêter de fumer, c'est le moment où il y a la rencontre entre une envie de s'arrêter et des outils pour nous aider. Finalement, le vapotage c'est la même chose, donc il faut regarder et ne pas avoir d'a priori sur ces questions.

Olivier Véran : Oui, et rappeler aussi que dans beaucoup de boutiques de vapotage, on peut trouver des messages sanitaires, de prévention, d'accompagnement dans une démarche active pour arrêter la cigarette. L'ennemie absolue c'est la cigarette, voilà, la cigarette qui tue des centaines de milliers de personnes chaque année. Nous réduisons le nombre de fumeurs déjà d'un million de français en moins en un an grâce aux mesures que nous avons adoptées. Le vapotage est très probablement un outil extrêmement utile et précieux, donc à suivre.